Il existe dans certains cercles spirituels des concepts qui, malgré leur apparente profondeur, peuvent nous éloigner de notre véritable évolution. Le concept des « portails organiques » en est un exemple frappant. Cette croyance, qui s’est répandue comme une traînée de poudre dans le milieu ésotérique depuis quelques années, mérite un examen critique approfondi. Non pas par rejet systématique, mais par souci de vérité et de responsabilité envers notre cheminement spirituel authentique.
Qu’entend-on par « portails organiques »?
Pour ceux qui ne connaissent pas cette théorie, elle suggère qu’une partie significative de la population mondiale (certains évoquent le chiffre stupéfiant de 50% ) serait dépourvue d’âme véritable. Ces personnes seraient de simples « coquilles vides », des « simulacres d’humains » habités par des entités malveillantes ou simplement des êtres sans conscience profonde, programmés pour entraver l’évolution spirituelle des « véritables humains ».
Selon les adhérents à cette théorie, ces « portails organiques » seraient reconnaissables à certains traits : incapacité d’empathie profonde, comportements mécaniques, absence d’émotions authentiques, résistance à l’éveil spirituel, et bien d’autres caractéristiques qui, examinées objectivement, correspondent simplement à la diversité des expressions humaines ou à des défenses psychologiques bien connues.
Une théorie aux fondements fragiles
En tant qu’enseignante spirituelle attachée à un ésotérisme traditionnel et opératif, je me dois d’interroger les fondements de cette théorie. Car contrairement à ce que prétendent ses défenseurs, le concept de « portails organiques » ne trouve pas d’ancrage solide dans les traditions spirituelles ancestrales.
Les traditions ésotériques authentiques, de l’Égypte ancienne aux mystères grecs en passant par les enseignements orientaux, reconnaissent universellement que la vie consciente est indissociable d’un principe animique. En termes simples : pas d’âme, pas de vie. L’âme n’est pas un privilège réservé à une élite spirituelle, mais le fondement même de toute conscience incarnée.
Les textes égyptiens parlent du « Ba » et du « Ka » comme composantes de l’âme présentes en chaque être humain. Les traditions hindoues reconnaissent l’Atman universel qui réside en chacun. Même les courants gnostiques, souvent cités à tort pour justifier cette théorie des portails organiques, parlent de différents degrés d’éveil de l’âme, et non de son absence totale chez certains êtres.
Les dangers d’une vision dichotomique
Ce qui m’inquiète profondément avec cette théorie, c’est sa propension à diviser l’humanité en deux catégories étanches : les êtres dotés d’une âme (généralement ceux qui adhèrent à certaines croyances spirituelles) et les autres, réduits à l’état de mécanismes biologiques sans essence véritable.
Cette dichotomie n’est pas sans rappeler certains des systèmes de pensée les plus destructeurs de notre histoire. Chaque fois que l’humanité a commencé à considérer certains groupes comme « moins humains » ou « dépourvus d’âme », des tragédies ont suivi. Le parallèle peut sembler excessif, mais le mécanisme psychologique sous-jacent est similaire : déshumaniser l’autre pour justifier son rejet.
À travers les commentaires que j’ai pu observer en ligne, je constate les ravages psychologiques et relationnels que cette croyance peut provoquer :
« Ma fille et son père, la plupart des membres de ma famille sont des portails organiques. En prendre conscience a été un choc, mais surtout rapidement un grand soulagement et l’arrêt de ma part de tout faire pour favoriser des relations saines depuis toujours, mais en vain. »
Ces mots déchirants illustrent comment cette théorie peut servir de justification à l’abandon de relations significatives et d’efforts de compréhension mutuelle. Elle offre une explication simpliste à la complexité des relations humaines, déchargeant l’individu de sa responsabilité dans ces dynamiques.
L’excuse parfaite pour ne pas se remettre en question
L’un des aspects les plus pernicieux de cette théorie est qu’elle fournit une échappatoire idéale face aux difficultés relationnelles. Plutôt que d’examiner nos propres contributions aux conflits, nos attachements, nos projections ou nos attentes irréalistes, il devient plus facile de dire : « Cette personne est un portail organique, il est inutile d’essayer de construire une relation authentique avec elle. »
Cette approche court-circuite un principe fondamental de toute croissance spirituelle authentique : la prise de responsabilité. Dans les traditions ésotériques véritables, l’adepte est constamment invité à observer ses propres ombres, à reconnaître ses projections, à assumer sa part dans la danse cosmique des interactions.
L’ésotérisme traditionnel nous enseigne que nos relations, même et surtout les plus difficiles, sont des miroirs précieux de nos propres zones d’ombre et de lumière. Étiqueter l’autre comme « portail organique » revient à briser ce miroir plutôt qu’à regarder notre reflet.
La confusion entre les défenses psychologiques, les influences externes et l’absence d’âme
Ce que les adhérents à cette théorie décrivent comme des signes d’absence d’âme correspond souvent à des mécanismes de défense psychologique bien documentés. L’apparente froideur émotionnelle, les comportements répétitifs, le refus de l’introspection ou la résistance au changement sont des manifestations courantes de traumatismes non résolus, d’attachements insécures ou de stratégies adaptatives développées face à des environnements difficiles.
Une personne peut sembler « robotique » ou détachée parce qu’elle a appris, souvent très tôt dans sa vie, que montrer ses émotions était dangereux. Elle peut résister à certaines idées spirituelles par peur légitime de manipulation ou par suite d’expériences négatives antérieures.
La psychologie des profondeurs nous enseigne que derrière chaque comportement défensif se cache une blessure et, plus profondément encore, une quête authentique de connexion et de sens. Voir dans ces défenses la preuve d’une absence d’âme revient à confondre le masque avec le visage.
Distinction essentielle : emprise énergétique vs absence d’âme
Il est fondamental de clarifier un point que les promoteurs de la théorie des portails organiques semblent mal interpréter. Dans l’ésotérisme traditionnel, nous reconnaissons l’existence d’emprises ou de possessions par des énergies négatives que l’on nomme entités. Ces situations, bien réelles, peuvent effectivement provoquer chez une personne des comportements inhabituels, un mal-être profond, ou des changements de personnalité troublants.
Cependant, et c’est là une distinction cruciale, une personne sous emprise ou possédée par une entité malveillante conserve intégralement son âme. Il s’agit d’influences externes qui peuvent être traitées par des pratiques appropriées de dégagement ou, dans les cas plus sévères, d’exorcisme rituel. Ces influences n’altèrent en rien l’essence fondamentale de l’être.
Confondre ces phénomènes d’emprise avec une supposée absence d’âme constitue une erreur grave de discernement spirituel. Dans le premier cas, nous sommes face à une situation temporaire nécessitant une intervention énergétique ou spirituelle; dans le second, nous tombons dans le piège d’une catégorisation définitive et déshumanisante.
Cette confusion explique pourquoi certaines personnes, après avoir été exposées à des enseignements ésotériques authentiques concernant les influences énergétiques négatives, glissent vers la théorie erronée des portails organiques. Elles perçoivent correctement certains symptômes mais en tirent des conclusions radicalement incorrectes, aux conséquences potentiellement dévastatrices pour leurs relations humaines.
L’âme : essence fondamentale de la vie consciente
Si nous revenons aux fondements de l’ésotérisme traditionnel, nous trouvons une vérité simple mais profonde : l’âme n’est pas un privilège, mais l’essence même de la vie consciente. Pas d’âme, pas de vie, pas de possibilité d’incarnation.
Cette conception est cohérente avec les enseignements de l’Égypte ancienne où chaque être vivant, du plus humble au plus élevé, participait du souffle divin. Elle s’accorde avec les traditions hermétiques qui reconnaissent différents niveaux de conscience, mais jamais l’absence totale d’essence spirituelle chez un être vivant.
Si nous considérons l’hypothèse d’autres formes de vie consciente dans le cosmos (qu’il s’agisse d’extraterrestres ou d’autres manifestations intelligentes) la même logique s’applique. La conscience, où qu’elle se manifeste, implique une forme d’âme. Varier dans ses expressions, certainement. Être totalement absente chez certains êtres conscients, jamais.
Des chemins d’évolution partagés
Une vérité fondamentale que la théorie des portails organiques oublie est que nous traversons tous, en tant qu’êtres humains, des épreuves similaires. Les défis, les souffrances, les moments de confusion et de clarté font partie intégrante de l’expérience humaine partagée. C’est le propre même de notre évolution collective et individuelle.
Les traumas, qu’ils soient personnels ou transgénérationnels, façonnent nos réactions, nos défenses et nos perceptions du monde. Certaines personnes peuvent sembler fermées ou mécaniques simplement parce qu’elles portent des blessures profondes qu’elles n’ont pas encore eu la possibilité de reconnaître ou de guérir. D’autres peuvent rejeter certaines vérités spirituelles parce qu’elles ne sont pas encore prêtes à les intégrer dans leur vision du monde.
Catégoriser et rejeter les autres en raison de leurs traumas non résolus ou parce qu’ils se trouvent à un stade différent de prise de conscience revient à nier la nature même du voyage spirituel authentique. Ce voyage n’est pas linéaire; il comporte des avancées, des reculs, des périodes de stagnation apparente qui peuvent cacher un profond travail intérieur.
Si nous comprenons véritablement que chaque âme suit son propre rythme d’éveil, comment pourrions-nous juger celles qui semblent « en retard » selon nos critères limités? Si nous reconnaissons que nos propres prises de conscience ont nécessité du temps, des erreurs et parfois des détours, comment pourrions-nous refuser cette même grâce aux autres?
Retrouver une spiritualité d’inclusion plutôt que d’exclusion
Le véritable ésotérisme, celui qui traverse les âges et transcende les cultures, est fondamentalement inclusif. Il reconnaît l’étincelle divine en chaque être et invite à percevoir l’unité fondamentale au-delà des apparences de séparation.
Les traditions authentiques nous enseignent que l’évolution spirituelle passe par la reconnaissance de notre interconnexion plutôt que par la division arbitraire entre « élus » et « autres ». Le mythe égyptien d’Osiris nous rappelle que même le corps démembré peut être rassemblé et ressuscité. Les mystères d’Éleusis célébraient la possibilité de renaissance pour tous les initiés sincères.
La théorie des portails organiques va à l’encontre de cette sagesse millénaire. Elle renforce l’illusion de séparation au lieu de la transcender. Elle entretient la peur et la méfiance plutôt que d’encourager la compréhension et la compassion.
La véritable libération
La libération authentique ne réside pas dans l’identification des supposés « portails organiques » autour de nous, mais dans la reconnaissance de nos propres conditionnements, de nos propres automatismes de pensée, de nos propres résistances à l’éveil.
Comme le dit si justement l’un des commentaires que j’ai pu lire : « La libération se passe en soi. Pouvoir se retrouver soi-même. » Cette personne, bien qu’adhérant à la théorie des portails organiques, touche paradoxalement à une vérité essentielle : le travail spirituel authentique commence et finit en nous-mêmes.
Les traditions ésotériques véritables nous invitent à un voyage intérieur, à une exploration de nos propres ombres et lumières, plutôt qu’à la catégorisation des autres. Elles nous encouragent à voir dans chaque rencontre, même et surtout les plus difficiles, une opportunité d’apprentissage et de croissance.
Un appel à la discernement véritable
Le discernement est une qualité essentielle sur le chemin spirituel. Mais le véritable discernement ne consiste pas à déterminer qui possède une âme et qui n’en possède pas. Il nous invite plutôt à distinguer ce qui, dans nos croyances et nos pratiques, nous rapproche de notre essence véritable et ce qui nous en éloigne.
La théorie des portails organiques échoue à ce test du discernement véritable. Elle nourrit l’ego spirituel, cette forme subtile d’identification qui nous fait croire que nous sommes « spéciaux », « éveillés », « différents » de la masse. Elle renforce nos jugements plutôt que de les dissoudre. Elle complique nos relations plutôt que de les clarifier.
Je vous invite donc à examiner cette théorie avec un regard critique et compatissant. Non pas pour rejeter aveuglément toute exploration des mystères de la conscience, mais pour ancrer cette exploration dans une éthique spirituelle authentique, celle qui reconnaît la dignité inhérente à chaque être conscient.
Souvenez-vous que l’histoire de la spiritualité est jalonnée de concepts qui, bien qu’attrayants pour l’ego spirituel, nous éloignent de la vérité simple mais profonde de notre interconnexion. Le concept de « portails organiques » pourrait bien être l’un d’entre eux, une distraction coûteuse sur le chemin de l’éveil véritable.
Et si vous vous sentez attiré par cette théorie, demandez-vous honnêtement : « M’aide-t-elle à devenir plus aimant, plus compatissant, plus présent dans mes relations ? Ou me fournit-elle une excuse commode pour éviter certaines confrontations nécessaires avec moi-même ? »
Car en définitive, le chemin spirituel authentique ne nous conduit pas à voir moins d’âmes autour de nous, mais à reconnaître l’âme unique qui se manifeste à travers la diversité infinie des êtres conscients, y compris ceux qui nous défient, nous frustrent ou nous déconcertent.
Ce n’est qu’en embrassant cette vision inclusive que nous pourrons véritablement honorer l’héritage des traditions ésotériques authentiques qui ont éclairé le chemin de l’humanité à travers les âges.
